Tibère, aujourd’hui, était d’humeur particulièrement belliqueuse. Il n’avait pas de travail depuis des lustres, lui semblait-il, alors il ne faisait rien d’autre qu’attendre qu’on l’appelle. En attendant, pour passer le temps, il voyageait. Il vagabondait, plutôt, il courait les routes dans sa vieille voiture pourrie et cherchait de quoi se distraire. Cela variait plutôt, parfois il passait une semaine entière dans un bled sans intérêt, parfois un seul jour même si tout était à faire, mais il suivait exactement ses envies et le hasard.
Voilà pour la raison qui l’amenait au Dakota. Il y errait sans but, emmitouflé dans un manteau, à regarder les rues gelées par l’hiver en se demandant vaguement s’il allait reprendre la voiture ce soir ou plutôt choisir une chambre d’hôtel.
Quant à son humeur belliqueuse, elle était causée par un trop grand désoeuvrement. Il lui prenait des envies de se battre, juste pour voir qui était le plus fort. Ça avait presque toujours été lui le plus fort, au cours de sa vie, parce qu’il était grand et rageux.
Grand, oui, cela dût sembler encore plus frappant à la jeune fille qui leva les yeux sur lui depuis son point de chute sur le trottoir. Tibère la fixait d’un œil courroucé, deux mètres plus haut à peu près, le regard luisant comme celui d’un animal sauvage qu’on viendrait de surprendre. Il se pencha et saisit la fille par l’épaule pour la relever, d’une main, comme une poupée de chiffon. On aurait dit un geste sympathique : tirons les choses au clair, ce n’en était pas un. C’est juste… que Tibère avait enfin mis la main sur une distraction.
Il examina la fille. Elle était étrangement attifée, sûrement indifférente aux regards extérieurs, ce qui lui plaisait.
« J’ai bien vu que tu ne regardais pas, merci. Tu ne t’es pas fait mal ? »
La question avait été posée sur un ton bien différent de la simple sollicitude. Si elle se méfiait d’avance, peut-être que cette femme saurait reconnaître une certaine cruauté dans sa voix. Sinon… tant pis pour elle. Tibère lui adressa un sourire charmant et lui tendit la main :
« Je m’appelle Tibère. Tu ne veux pas aller boire un verre ? Quelque chose de chaud, il fait si froid ici… »
Allez, accepte ! Un peu d’action, enfin, enfin ! Quelqu’un à qui parler aujourd’hui, enfin !